Froppel
Le froppel (Pleurotus populinus) est un champignon gélatineux originaire des plaines fongiques. Il s'agit du seul champignon qui naturellement peut se mouvoir et se déplacer par lui-même (si on exclut les b'lergheumb'lehiens transformés et le Seigneur B'lergheumb'leh lui-même). Selon la théorie la plus en vogue, B'lergheumb'leh aurait doté les froppels de cette faculté unique pour qu'ils puissent disséminer les spores de ses trois-mille-quatre-vingt-dix-neuf noms partout dans le demi-sous-sol et même à Vieuholle.
La maturation du froppel est très longue et prend une cinquantaine d'années. Dans sa forme initiale, il ressemble à n'importe quel champignon au chapeau déprimé et à la tige torsadée. Ce qui le distingue est sa consistance très gélatineuse, qui le rend vulnérable aux prédateurs tels la clitamine pendant les premières décennies de sa vie. Lorsque le froppel arrive à maturité, il acquiert la capacité de changer à volonté sa forme et son apparence ; il se détache alors de son pédoncule et devient mobile pour le reste de sa vie. Son premier réflexe est généralement de se faire passer pour une clitamine, histoire de jouer de vilains tours à ses ex-prédatrices (comme faire leur lit en portefeuille) pour se venger – en se disant que c'est bien fait pour elles. Les froppels vivent en général jusqu'à l'âge de trois-cent ans, ou jusqu'à ce qu'ils manquent d'énergie pour assurer la cohésion de leur corps. Quand un froppel meurt, il se répand sur le sol et crée une flaque d'où peuvent pousser de nouveaux froppels.
En plus d'avoir la faculté de changer de taille et d'apparence, les froppels ont la capacité d'émettre une toxine qui, chez la plupart des mammifères, a pour effet de perturber leur mémoire et de les rendre très réceptifs aux suggestions. Cela permet aux froppels d'obtenir à peu près n'importe quoi de la part de n'importe qui, ce qui pourrait être potentiellement dangereux s'ils étaient motivés par quelque chose d'autre que leur besoin impérieux de s'amuser, de rigoler et de manger tout le sucre qui leur tomber sous la main.
Contrairement à la plupart des champignons, les froppels ont besoin d'ingérer des doses massives de glucides pour avoir assez d'énergie pour leur permettre de se déplacer et de maintenir d'autres apparences que leur forme gélatineuse. Ils sont donc toujours à la recherche de sources de sucre ; dans les plaines fongiques, leur habitat naturel, ils se nourrissent presque exclusivement de sucranelles. Ailleurs, ils boivent continuellement du lait condensé sucré – et c'est d'ailleurs une des façons de les reconnaître lorsqu'ils adoptent une apparence qui n'est pas leur forme naturelle.
Les froppels sont encore aujourd'hui la source de bien des peurs et paniques morales parmi les habitant·es de Vieuholle. Il existe plusieurs théories complotistes à leur sujet qui leur prêtent des intentions démoniaques, puisqu'ils ont la possibilité d'infiltrer n'importe quel milieu en passant parfaitement inaperçus. Selon les complotistes, les froppels contrôleraient la police, les banques, le gouvernement, les médias, Necromart et même la mystérieuse troisième sphère du pouvoir. Tout cela est fort possible, puisqu'ils en ont la capacité, mais comme le dit toujours l'un d'eux : « C'est beaucoup d'efforts et franchement trop fatigant pour être amusant ». Il est plus probable que les froppels vivant à Vieuholle s'adonnent à des divertissements beaucoup plus simples, comme voler du sucre à l'étalage, entrer gratuitement à Lustpark et dans les salles de spectacles en se faisant passer pour le concierge, faire des coups pendables pour rire des tartempions (comme se transformer en icône miraculée de la vierge qui parle et qui pleure des larmes de sang), voler une chaussette sur deux dans les sécheuses des buanderies ou imiter des célébrités pour coucher avec des légions de fans naïf·ves.
La sexualité des froppels est un objet de curiosité pour tous·tes les chercheur·euses qui arrivent à ne pas succomber à leurs charmes et ne se font pas retirer leurs subventions pour faute déontologique grave. Comme plusieurs champignons, la reproduction des froppels est sexuée, mais les individus eux-mêmes sont à la fois et simultanément mâles et femelles. Sous leur forme naturelle, deux froppels s'unissent par la conjugaison d'hyphes mâles et d'hyphes femelles, aboutissant à la formation d'une zygospore diploïde. Quand un froppel adopte une forme humaine, il peut imiter des organes génitaux et s'adonner au coït de façon classique. Quand toutefois il se sent en confiance – où qu'il le fait contre rémunération, comme dans les bains érotiques de Lustpark – le froppel peut s'adonner à une relation sexuelle dans sa forme gélatineuse ; c'est ce qu'on appelle le bukkake fongique.
À Interzone, on confectionne de la crème glacée avec la gelée de froppel, c'est-à-dire, les gouttes que ces champignons laissent tomber sur le sol quand ils sont dans un état semi-liquide. Tous ceux et celles qui l'ont essayé jurent que c'est le dessert le plus incroyablement délicieux qu'iels ont gouté de toute leur vie ; les froppels quant à eux préfèrent ne pas en entendre parler, parce que ça leur donne des cauchemars.