J'essayais d'assimiler mentalement toute l'information qu'on m'avait donnée aux cours des dernières heures quand je me fis apostropher vertement par la Camarade Yana :

— Arrêtez de vous traîner les pieds ! On a des trucs à aller faire péteeeeeeeeeer !

— Comme le disait Emma Goldman : « Quand on se promène à pied, on ne peut pas aller plus vite que nos jambes », répondit Kiki en souriant.

Nous les suivîmes donc dans les rues tortueuses d'Interzone jusqu'à une façade d'édifice qui était en réalité l'entrée d'une grotte. Deux militantes de la C.R.A.S.S.E. armées de tromblons gardaient cette entrée et firent une drôle de tête en voyant approcher Camarade Yana.

— Yana ! Tu n'es pas sensée être en classe ! dit celle de gauche.

— On t'avait dit de prendre une pause... tu as assez fait exploser de trucs cette semaine ! dit celle de droite.

— Pfffff. C'est CAMARADE Yana pour vous deux. L'école, je vais y aller demain et c'est vous-mêmes qui m'aviez dit d'arrêter de faire exploser des trucs ailleurs qu'ici.

— Comme le disait Emma Goldman : « Les enfants ont besoin d'être éduqué·es à la liberté », camarades, dit Kiki aux deux gardes. Nous avons rendez-vous avec Josiane, elle nous attend à l'atelier.

— Surveille-la bien, camarade. Ce n'est pas un endroit où une enfant devrait traîner.

Une des nombreuses caches d'armes de l'Armurerie Buenaventura-Durruti.
Une des nombreuses caches d'armes de l'Armurerie Buenaventura-Durruti.

Les deux militantes de la C.R.A.S.S.E. nous laissèrent passer en nous saluant d'un hochement de tête. Nous suivîmes Camarade Yana et Kiki à travers le dédale des corridors de l'armurerie, en croisant plusieurs militant·es lourdement armé·es qui nous saluèrent aussi en souriant. Nous traversâmes aussi plusieurs salles dont les murs étaient couverts de râteliers contenant tous les types d'armes à feu imaginables. Impressionné, Nessos demanda à Kiki :

— Vous avez une sacrée collection de pétoires ! D'où proviennent toutes ces armes ?

— La plupart ont été réquisitionnées chez les bourgeois ou saisies sur des rats-garous que nous avons affrontés. D'autres ont été construites ici même, par les membres du collectif qui animent l'armurerie. Comme le disait Emma Goldman : « Quand vient le temps d'assurer sa propre sécurité, on n'est jamais mieux servi·es que par nous-mêmes ».

— Est-ce que vous tenez des collègues dans votre inventaire ? demanda Tramontina™.

— Pardon ? demanda Kiki, surprise par cette question.

— Elle veut savoir s'il y a des godemachettes, expliquai-je.

Kiki eut l'air embarrassée pendant quelques secondes, puis finit par dire :

— Nous ne les gardons pas en stock lorsqu'elles font partie d'un butin raflé. D'abord parce que personne ne sait s'en servir convenablement – les secrets des styles de combat sont jalousement gardés par les Orgasmatron Girls – ensuite parce que, comme le disait Emma Goldman, « les armes blanches qui parlent, ça nous rend mal à l'aise ».

— Voilà une réponse qui me rassure, répondit Tramontina™. Perso, je me verrais mal prendre la poussière dans cette cave humide.

Nous traversâmes une grande cour où une dizaines de personnes s'entraînaient au tir au revolver et à la mitraillette. Au bout de cette cour, nous prîmes un long corridor qui nous mena jusqu'à une salle qui semblait être un atelier. Une douzaine de personnes étaient au travail devant de grands comptoirs de bois et assemblaient minutieusement d'étranges sphères métalliques dont la surface était recouverte de circuits complexes. Parmi ces artificiers se trouvaient Bert et Mona, que nous avions rencontrés dans le désert et qui nous saluèrent amicalement. Josiane, qui nous attendait, nous embrassa avec effusion et nous dit :

— J'espère sincèrement que vous accepterez notre mission. Vous allez dire que j'exagère, mais je crois que notre avenir commun est en jeu.

— On vous donne notre réponse demain à la première heure, promis, dit Nessos en se grattant la crinière.

— Quelle que soit votre décision, il ne serait pas sage que vous quittiez Interzone sans être convenablement armé·es et à même de vous défendre.

Anne et moi, on peut se débrouiller, mais merci pour l'offre, dit Tramontina™ avant que je ne puisse ouvrir la bouche.

— Les lames de mes robot-tentacules sont encore bien affûtées, je vais être ok moi aussi, ajouta Andrea.

— Quant à moi, dit Nessos, je n'ai que ce vieux tromblon trouvé dans le crâne d'une branleuse géante. Il n'y a pas moyen de me donner quelque chose de plus... efficace ?

— On en a de grade militaire, volés dans un poste du SPVH, dit Camarade Yana. Je le sais, je les ai vus la dernière fois, quand j'étais venue faire des cocktails Molotov.

— Comme le disait Emma Goldman : « La gamine a raison et je vais tout de suite aller vous en chercher un », dit Kiki.

L'étouffoir, entre les mains de Josiane Bédard
L'étouffoir, entre les mains de Josiane Bédard

— C'est bien aimable à vous, remercia Nessos. En attendant, je peux savoir ce que vous êtes en train de fabriquer ici ?

— Des étouffoirs, répondit Josiane. Nous allons vous en confier un, car il s'avérera fort probablement utile si vous vous trouvez dans la situation où vous voulez empêcher la fuite de quelqu'un – disons Albus Lepus – à travers un portail de téléportation.

C'est alors qu'Andrea se mit à péter un câble.

— MAIS MAIS MAIS... VOUS ÊTES TOUS INCONSCIENT·ES, MA PAROLE !!! Vous voulez TOUSTES NOUS TUER ??

— Woooa, iel n'est pas content·e dis-donc, dit Camarade Yana, impressionnée par le talent d'Andrea pour se mettre en colère.

Iel poursuivit :

— PAS QUESTION que je TOUCHE à ce TRUC et ENCORE MOINS QU'ON S'EN SERVE EN MA PRÉSENCE ! Déjà que vous me faites transporter des champignons louches, je ne vais certainement pas être impliqué·e de près ou de loin dans la pulvérisation du monde tel qu'on le connaît !

— N'exagérez pas, camarade, dit Mona en s'approchant. Nos étouffoirs sont bien calibrés et le risque de débordement est minime, voire inexistant.

— Vous n'en savez rien ! Vous n'avez pas accès à un processeur mathématique comme le mien, vous ne pouvez pas comprendre ! lamenta Andrea. Une amplitude d'onde juste un peu trop grande et c'est la catastrophe : tous les portails dans un rayon de cent kilomètres vont s'effondrer et les appareils qui les génèrent vont exploser. On parle potentiellement de centaines... non ! DES MILLIERS DE VICTIMES ! Tout ça pour éteindre un seul portail ! C'est complètement irresponsable, alors que les Maîtres de la Guilde peuvent le faire proprement et sans risque !

— Le but n'est pas seulement d'éteindre un portail, mais aussi de s'en servir comme arme, dit alors Bert qui jusqu'à présent était resté silencieux. Nous nous en servons uniquement lorsque c'est justifié.

— Comme quand il faut bouffer les riches ! ajouta Camarade Yana.

— Rien ne pourrait justifier qu'on étouffe un portail, dit Andrea. Ce que vous faites est mal et j'en ferai rapport à la Guilde.

— Tu feras ça, c'est une excellente idée, dit Nessos. En attendant, je vais prendre ceci, en vous remerciant pour votre aide.

Andrea se mit à bouder. Nessos prit l'étouffoir, le mit dans son sac, puis dit à la ronde :

— Je ne sais pas pour vous, mais je suis claqué. Vous nous raccompagnez dans nos quartiers, qu'on aille dormir un peu ?