Les préparatifs

La Delaunay-Belleville, repeinte en noir, dans l'appartement (supposément) vide à côté du mien.

Ce n'était pas la première fois que mes chats m'offraient de les accompagner dans une de leurs razzias. J'avais jusqu'à ce moment refusé, d'abord parce que mon rôle dans la bande se bornait à fournir la planque et écouler la marchandise, ensuite parce que je suis une poule mouillée et que ça me traumatise de quitter mon appartement. Je m'apprêtais donc à leur dire non, comme d'habitude, quand Tramontina™ s'écria avec enthousiasme :

— Oui ! Allons détrousser les bourgeois. On va le DÉCOUPER en PETITS MORCEAUX !

— Du calme, camarade, dit Carouy. On ne les fait exploser qu'en cas d'extrême nécessité.

— On ne va découper ou faire exploser personne, parce que j'ai un kwaa et un bon bouquin qui m'attendent, protestai-je.

— Come on ! On ne fait jamais rien d'excitant, pleurnicha Tina™.

— J'ai eu ma dose d'excitation pour la journée, merci, mais non merci.

— Vous pouvez juste prendre place sur le siège arrière de la Delaunay-Belleville et regarder les artistes à l'œuvre, dit Bonnot en passant devant nous, des révolvers attachés à ses hanches.

— Oh oui ! Viens avec nous, je pourrai m'asseoir sur tes cuisses et tu me flatteras pendant qu'on se rend dans la deuxième strate ! ronronna Garnier en me faisant des yeux doux.

— Alllllleeeeez ! On va juste regarder ! dit Tina™. Ce ne sera pas fatiguant du tooouuuut !

Je soupirai, sachant que j'allais céder aux caprices de ma consœur, comme toujours.

— D'accord, mais pas question que je sorte de la voiture, han.

— Yéééé !! cria joyeusement Tramontina™. Tu verras, je vais être super sage. Et puis, tu ne risques rien, parce qu'après tout, je vais être là, han.

Je haussai les épaules et m'en fus enfiler mon épibarrière des grands jours, non sans grommeler un tout petit peut. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour pour garder sa godemachette heureuse… enfin bref. Je l'attachai à ma hanche et suivis mes chats qui, armés jusqu'aux crocs, quittaient l'appartement et me faisant signe de la patte de les suivre – ce que je fis jusqu'à la porte d'à côté, celle d'un appartement que je croyais vacant. La bande l'avait converti en planque pour la Delaunay-Belleville, dont la capote avait été installée et qui était branchée sur quatre orgonateurs. Les chats illégalistes avaient laissé sur les murs les peintures et les photos de famille du locataire précédent ; sa bibliothèque en bois massif, remplie de livres pieux, était toujours là, quoique recouverte de poussière. Seules la limousine et de nombreuses piles de boîtes de Necromart volées (et toujours pas ouvertes) indiquaient qu'il se déroulait des activités louches dans cet appartement.

— Comment avez-vous réussi à ne pas éveiller les soupçons du propriétaire ? demandai-je à Bonnot.

— On le paye « par erreur » en double chaque matin et ça suffit pour endormir tous ses scrupules, répondit-il en haussant les épaules.

— Oh ! Et vous avec repeint votre voiture, les minous ? dis-je, surprise.

— Elle était un peu trop voyante avec ses couleurs d'origine, expliqua Valet. Il fallait faire quelque chose avant qu'elle ne soit brûlée ; elle a encore beaucoup de courses sous sont capot.

— Alors les félins domestiques ? Qu'est-ce qui est au programme ce soir ? demanda Tramontina™ sur un ton guilleret.

— On se rend dans la deuxième strate, expliqua Raymond-la-Science. Une source nous a informé qu'il va y avoir une livraison de marchandises dans une des rares usines qui est encore en fonction. Nous allons nous pointer comme un poil dans la pâtée et faire une petite réquisition révolutionnaire.

— La routine, quoi, dit Monnier en rangeant son Smith & Wesson dans le coffre à gants.

— Promettez-moi que ça ne partira pas en vrille, suppliai-je en prenant place sur la banquette arrière.

— Ça ne partira ni en vrille, ni en couille, dit Garnier en sautant sur mes genoux.

— De toute façon, il a été châtré depuis longtemps ! rigola Soudy.

— Pffff. Avoir des testicules, c'est très surfait, miaula Garnier en frottant sa tête sur ma main.

Valet fit démarrer la voiture, puis nous dit :

— Accrochez-vous, camarades : nous partons pour la deuxième strate !