La consultation

La nurse Ursule en pleine consultation.

Je me levai en prenant mille précautions pour ne pas réveiller Oook qui ronflait en faisant des bulles dans sa bassine, et je marchai jusqu'au salon pour aller chercher mon iCagoule que j'avais laissée sur la table à café. Les chats n'y étaient pas, signe qu'ils étaient partis, comme à leur habitude, commettre des crimes dans la troisième strate de la ville. Wanda non plus, et je me rappelai que j'avais quitté le kwaa-party sans même lui dire au revoir.

Quelque chose n'allait pas. D'abord, Manny qui me dit que les chats et Wanda n'existent pas. Ensuite, j'oublie que j'ai marié un froppel, qui pourtant dort chaque nuit dans ma chambre. Puis, je reçois la visite d'un incube rubik qui me prévient de ne pas faire quelque chose, sans toutefois me dire quel est au juste ce quelque chose. Je nageais en pleine confusion, j'avais besoin d'aide professionnelle.

Nue dans le salon, j'enfilai une culotte et mon iCagoule pour me connecter au neuronet et accéder au neurosite d'Écono-Save, pour une consultation médicale. Alors que j'attendais que la connexion se fasse, une publicité se mit à résonner dans ma tête :

Avez-vous entendu la bonne nouvelle ? Jésus n'est pas seulement mort pour nos péchés, mais aussi pour nous donner une pelouse impeccable. La vôtre aussi peut être sauvée des larves de hannetons et de scarabées. Elle peut être lavée des souillures des pissenlits et de l'herbe à poux. N'écoutez pas les infidèles qui vous disent que le trèfle blanc n'est pas une mauvaise herbe, ce sont des suppôts de Satan ! Joignez-vous plutôt à l'Église du Saint-Bluegrass-du-Kentucky et des apôtres de la dernière tourbe et priez pour que votre herbe soit toujours plus verte que celle du voisin. Les services ont lieu tous les dimanches, venez avec votre famille et vos tondeuses. Amen !

J'aboutis ensuite sur la page principale du neurosite d'Econo-Save, qui m'offrait divers services : dermatologie, sérologie, pneumologie, podiatrie, physiologie, otorhinolaryngologie et ainsi de suite. Un premier message me demanda de verser cinquante dollars de Fidji pour l'ouverture de mon dossier, ce que je fis. Le deuxième me demanda de choisir un service, mais comme je ne savais pas trop lequel, je choisis « Consulter la nurse » et j'entendis immédiatement une voix féminine très forte me parler sur un ton exagérément jovial.

— Hé hé hé ! Bienvenue à vous, chère patiente ! Je suis la nurse Ursule et je suis ici pour vous aider ! WOOHOOO ! Que vous soyez atteinte de phéochromocytomes malins ou même du délire d'illusion des sosies de Capgras, je suis là pour vous aider à traverser ce moment difficile, voire même à retrouver le chemin de la santé ! PffffffWHA HA HA HA HA ! Qu'est-ce qu'on a du fonne, quand même !

— Je suis contente que vous soyez d'aussi bonne humeur mais, moi, je suis un peu sur le bord de la crise, dis-je en retenant mes larmes.

— Ben voyons ? C'est quoi le gros gros bobo qu'on a aujourd'hui ? On a mal dans son bedon ? On a la vessie impatiente ? On a de la pépeine dans son petit cœur ? demanda la nurse avec une voix quasi-hystérique.

— En fait, non. J'ai l'impression que je perds contact avec la réalité. Je ne sais plus si ce que je vois et ce que j'entends est une hallucination ou pas. J'ai un ami qui est convaincu que c'est parce que je bois trop de kwaa.

— HA HA HA HA ! Je vois qu'on a affaire à un problème de santé mentale ! Vous êtes, ce qu'on appelle dans le jargon du métier, une « querisse de folle » ! Wooooohooooo ! Je suis tellement fière de vous ! BWA HA HA HA HA HA HA !

— Est-ce que c'est grave, nurse Ursule ?

La nurse se mit à rire très fort et le fit très, très longtemps. Lorsqu'elle eut fini, elle demanda :

— Vos hallucinations... en quoi elles consistent, au juste ?

— D'abord, des chats anarchistes vivent dans mon salon.

— Ahan… et comment savez-vous qu'ils sont anarchistes ?

— Ils me l'ont dit. Ce sont des chats parlants.

— Pffff ! pouffa-t-elle.

— Il y a aussi mon épouse. C'est un champignon gélatineux qui peut se transformer en copie conforme de moi-même.

— Pffff ! pouffa-t-elle encore.

— Il y a un démon… Je crois que c'est aussi un champignon... qui est venu me visiter pendant mon sommeil pour me livrer un message énigmatique de la part du Seigneur des moisissures.

— Et ce message, qu'est-ce que c'était ?

— « Ne le fais pas. »

La nurse Ursule se remit à rire hystériquement pendant de longues minutes. Elle se mit à avoir le hoquet et à s'étouffer et j'étais à me demander comment un logiciel pouvait manquer d'air lorsqu'elle me dit :

— Ma chère dame, jamais je ne dirais que votre ami a raison de soupçonner un abus de kwaa, probablement doublé d'une consommation excessive de barres Eat More. Si je le disais, Econo-save me mettrait sûrement en mode veille et... HA HA HA HA ! Ça serait vraiment nul, han ? Mais je vais quand même vous dire une chose : commencez par surveiller votre alimentation, parce que vous connaissez le dicton, on est ce que l'on mange. Et dans votre cas, vous avez probablement mangé comme une querisse de folle ! HA HA HA HA ! HO HO HO HO ! HU HU HU HU ! Ah la la, qu'est-ce qu'on se bidonne !

— C'est que ça ne va vraiment pas bien, madame Ursule. J'ai peur d'avoir basculé pour de bon.

— Ah la la ! Vous manquez vraiment d'humour, dites donc. Si ça peut vous rassurer, je peux vous envoyer un spécialiste à domicile pour la modique somme de cent-trente-cinq marks bosniaques convertibles.

— Ouf… c'est pas donné.

— Chez Econo-save, notre devise est : « La santé n'a pas de prix et les nôtres anéantissent la compétition ».

— C'est vraiment idiot comme slogan.

— BWAHA HA HA HA ! C'est vrai que c'est con ! Madaaaaame ! Vous êtes la patiente la plus drôle que j'aie eu depuis au moins deux heures ! HA HA HA HA !

Je me servis de BankruptPal pour verser la somme réclamée, puis demandai à la nurse Ursule :

— Quand est-ce que le médecin va arriver ?

— Tout de suite. À la revoyure, querisse de folle ! HA HA HA HA HA HA HA HA HA !

La nurse Ursule mit fin à la communication au moment même où mon Orgasmatron se mit à sonner.