Adieux à Interzone

Je me réveillai le lendemain dans les bras et les robo-tentacules d'Andrea.

— Good morning sexy, dis-je en lui caressant la joue.

— Bonjour... dit-iel.

— Ça fait longtemps que tu es réveillé·e ?

— Pas tellement, mais j'avoue t'avoir un peu regardé dormir.

— Un peu creepy, mais dans la limite de l'acceptable, dis-je en m'étirant. Tu viens ? Je crois que nos nouvelleaux ami·es nous attendent.

— Oui, mais avant, j'aimerais savoir ce qui va nous arriver…

— Ah ça, j'en ai aucune foutue idée. On fonce tout droit vers l'inconnu et je t'avoue que ça me fait un peu peur.

— Moi aussi, ça me fait peur. Tu sais, je n'ai jamais eu d'amoureuse…

Je pris son visage dans mes mains et déposai un baiser sur son front, avant de lui dire :

Le petit-déjeuner à Interzone.

— Je parlais de notre voyage à travers le troisième cercle jusqu'à la Cité de Dis…

— Ah oui, ça… En effet, ça risque d'être difficile, j'imagine…

Andrea se tut et contempla avec un regard rêveur sur Interzone baignée par la lumière du matin. Quant à moi, j'allai débrancher Tramontina™ et la réveiller.

— Déjà le matin ? demanda-t-elle avec une voix pâteuse.

— Oui. Pas le temps de faire la grasse matinée, nous sommes attendues.

— Est-ce que j'ai le temps de faire un brin de toilette ? J'ai des articulations à huiler… dit Andrea.

— Oui, bien sûr. Je vais aller voir si l'exterminateur est déjà levé pendant que tu fais ça, lui répondis-je.

J'enfilai mon épibarrière, puis me rendis à la chambre de Nessos. Je frappai, mais puisque j'entendais ronfler de l'autre côté de la porte, je décidai d'entrer. Le trans-équin ronflait dans son lit ; je m'y glissai et l'embrassai dans le cou pour le réveiller.

— Salut la cagoule… Alors ? La promesse ? Ça s'est bien passé ?

— Disons que le pousse-au-vice, quand on le prend intentionnellement, c'est… quelque chose.

— Ha ! Tant mieux si vous avez eu de fun. Est-ce que la tentacule va nous accompagner jusqu'au fond de l'enfer, finalement ?

— Oui. Iel est amoureux·euse.

Nessos se leva péniblement du lit en faisant claquer ses sabots.

— L'amour… voilà un truc à manipuler avec beaucoup plus de précautions que le chlorociboria aeruginascens. Et toi ? Tu l'aimes ?

— Oh moi… j'ai l'amour facile, dis-je en haussant les épaules. Tu es prêt à partir ? Je vais aller chercher Tina™ et Andrea, parce que nous sommes attendu·es…

— Oui, je vous rejoins. Laissez-moi juste le temps de brosser un peu mon crin.

Je retournai donc dans la chambre d'Andrea qui avait fini de huiler ses mécaniques et était en train d'enfiler sa chemise à carreaux. Je l'embrassai sur la joue, ce qui lae fit rougir. Comme on nous l'avait indiqué, nous fîmes un peu de ménage dans la chambre, nous ramassâmes les draps et les serviettes, puis nous descendîmes au rez-de-chaussée les déposer à l'endroit prévu à cet effet. Nous empruntâmes ensuite toustes les quatre les rues tortueuses d'Interzone jusqu'à la maison Erich-Müsham où nous attendait Belphégor et ses camarades.

Nous arrivâmes en même temps que Kiki et Josiane, qui avaient les bras chargés de paquets.

— Salut camarades ! nous dit Josiane. On a apporté tout ce qu'il faut pour le petit déjeuner.

— Comme le dirait Emma Goldman, on a aussi d'autres trucs pour votre éventuelle mission – si vous l'acceptez, ajouta Kiki.

— Justement, nous avons pris notre décision et nous venons vous l'annoncer, dit Nessos en s'allumant un joint.

Nous montâmes à l'étage jusqu'à la salle de réunion de la maison Erich-Müsham où Bert, Mona et Belphégor nous attendaient. Ce dernier se leva de son fauteuil en nous voyant :

— Vous voilà enfin ! Alors ? Vous avez aimé votre soirée à Interzone ?

— Ce fut très instructif, répondit Andrea.

— Et très agréable ; la gastronomie, les arts, les spectacles… je ne m'attendais pas à tout ça ! ajoutai-je.

— En plus, vous ne tenez pas de godemachette en esclavage, c'est un bon point pour vous, conclut Tramontina™.

— Je savais bien que vous alliez apprécier votre séjour, dit Mona.

Nous aidâmes Kiki et Josiane à dresser la table. Elles avaient apporté des petits pains, du fromage, des oranges et du kwaa. Nous déjeunâmes en apprenant plein d'autres détails sur les activités de la C.R.A.S.S.E. et la vie à Interzone. Lorsque nous eûmes fini de manger, Josiane nous dit :

— Maintenant… nous aimerions toustes savoir si vous avez décidé d'accepter notre mission.

— Nous en avons parlé entre nous et… voilà, on s'est dit que nous étions d'accord, dit Andrea.

— Oui, mes ami·es vont m'accompagner jusqu'à la Cité de Dis, ajoutai-je.

Belphégor s'approcha et nous fit l'accolade à tour de rôle – même à Tramontina™. Il nous dit ensuite :

— Je veux que vous sachiez que vous devez arrêter Lepus à tout prix – voire l'assassiner s'il le faut. Êtes-vous prêt à avoir un meurtre sur la conscience ?

Nous nous regardâmes, un peu mal à l'aise, sans oser dire quoi que ce soit. C'est évidemment Tina™ qui répondit pour nous :

— ON VA LUI PÉTER LA GUEULE !

Nous rîmes toustes nerveusement – comme il est coutume de le faire chaque fois qu'une arme létale fait de l'humour. Josiane nous dit ensuite :

— Nous avons préparé des sacs de voyage pour vous, avec le nécessaire pour vous rendre à la Cité de Dis sans être trop encombré·es.

— Vous y trouverez des barres Eat More pour au moins une semaine, une gourde, une tente, un orgonateur de voyage, quelques vêtements de rechange et une carte des zones connues du demi-sous-sol, ajouta Bert.

— Et Anne... je te demanderais d'installer ceci sur ton iCagoule, dit Belphégor en me tendant une neurobarrette.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Une application de communications développée par la C.R.A.S.S.E.. C'est comme Braintime – moins la pub – et ça permet de communiquer sans être repéré·e et espionné·e. Vous allez pouvoir l'utiliser pour nous contacter… lorsque vous serez dans des endroits où la connexion est disponible, évidemment.

J'insérai la neurobarette dans mon iCagoule et pendant que Scytale s'installait, je demandai :

— Et cette connexion... où est-elle disponible ? Je veux dire… dans les cercles inférieurs…

— Ailleurs qu'à Interzone… pas mal juste dans la Cité de Dis, dit Josiane.

— C'est pour cela qu'il serait important de nous contacter dès votre arrivée, pour que nous puissions vous offrir toute l'aide que nous pouvons, ajouta Belphégor.

— Et lorsque nous aurons intercepté Lepus et qu'Anne aura récupéré son livre… qu'est qu'on fera ? demanda Andrea.

— Comme le dirait Emma Goldman, on fera en sorte de vous ramener à Interzone, dit Kiki.

— Et bien… qu'est-ce qu'on attend ? Partons pour la Cité de Dis, dit Nessos en mettant les trois sacs sur son dos.

Nous sortîmes de la maison Erich-Müsham et nous dirigeâmes à pied vers la zone des portails collatéraux que nous avions visité la veille. Nous croisâmes en chemin Camarade Yana qui se joignit à nous en criant :

— Yo ! Est-ce que vous vous en allez déjà ?

— Emma Goldman te demanderait pourquoi tu n'es pas en classe ce matin, lui dit Kiki.

— Meh, je vais y aller demain, dit-elle en haussant les épaules. Vous partez pour le fleuve des morts, c'est ça ?

Josiane, Kiki, Belphégor, Selma, Bert, Mona et Hugo nous souhaitant bonne route et bonne chance.

— Oui. On a même le pot de vin pour payer le passeur, répondis-je en pointant le bidon de naucories qu'Andrea tenait avec une de ses robot-tentacules.

— J'aimerais drôlement pouvoir voir ça ! dit Camarade Yana en épiant les réactions de Kiki, qui lui répondit :

— Emma Goldman te dirait qu'il serait préférable que tu grandisses un peu avant d'aller explorer le vaste monde et ses dangers.

— Elle était vraiment killjoy celle-là, ronchonna Camarade Yana.

Nous arrivâmes à la place publique rocheuse que nous avions déjà visitée, où se trouvaient les anneaux métalliques géants qui contenaient les portails intégraux. Sur place, Nikola, Hugo et Selma nous attendaient. Cette dernière tendit un petit sachet de jute à Nessos en lui disant :

— Pour la route, camarade.

— Merci Selma, je vais toujours me rappeler de tes cultivars , dit-il avec reconnaissance.

— Je sais qu'on vous a déjà remis ces saloperies de Eat More, mais j'ai pris l'initiative de vous préparer quelques trucs frais qui vont varier votre ordinaire, ajouta Hugo en nous remettant une petite glacière de plastique.

— Quant à moi, j'ai quelque chose pour toi, Andrea, dit Nikola en lui tendant une neurobarette.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-iel.

— Des plans de capteurs de portails collatéraux. Je me suis dit que ça t'intéresserait…